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Le blog Les dits du théâtre

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Les dits du théâtre, le blog de l'actualité théâtrale d’aujourd'hui


Sur la voie royale, d’Elfriede Jelinek

Publié par Dashiell Donello sur 28 Juin 2021, 11:45am

Le théâtre d'Elfriede Jelinek vient d’une blessure traumatique, jamais refermée, de l'histoire austro-allemande, et des relations contradictoires qu'entretient le peuple germanique avec son passé fasciste.

Sur la voie royale, d’Elfriede Jelinek

Quand l’actualité devient théâtre sur une scène abstraite

C’est sur une scène abstraite, qui invite à toutes les situations, qu’entre la magnétique comédienne Christèle Tual. Peut-être un côté podium de la mode qu’aime curieusement Elfriede Jelinek. Cela en a le goût, mais c’est du sucre dont il est ici question.  Le pschitt de la canette de coca, nouveau brigadier de théâtre, lève un invisible rideau pour que commence le récit.

Nous attendons, avec gourmandise, les mots de la Nobel de littérature de 2004. Le personnage, pris en grippe par Jelinek, a de l’argent. Son nom n’est jamais prononcé ; mais nous le devinons sous son écriture : «  le roi a l’argent, c’est bien, ça le rend indépendant, un gros avantage, eh bien, c’est pour cette raison que nous avons voté pour lui, et c’est pour cette même raison que Dieu l’a élu. C’est allé relativement vite, il a été exclu, enfin, élu en exclusivité bien sûr ».

C’est mots ont été écrit immédiatement après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, en novembre 2016. L’actualité devient théâtrale. Ce n’est pas nouveau, mais avec Jelinek cela en vaut le détour. La tragédie, Œdipe, Abraham, Freud, Heidegger et Piggy la cochonne, sont convoqués comme témoins, à la barre d’un procès à charge ; où nous les jurés n’avons qu’à bien nous tenir. Surtout pas de fausses notes, dans la musique ! Celle de Wolfgang Mittere respire et joue avec Christèle Tual, tout au long du récit. La voie royale de Elfriede Jelinek est une musique qui claironne dans les failles du pouvoir ; où il est question de tyrannie par l’assujettissement par la dette, et de la dévaluation programmée de toute pensée.

Ubu hante l’espace dramatique : « La journée sourit d’un or étincelant, la maison aussi sourit d’un or étincelant, tout ce qui brille est or. Quoi ?, cette maison là-bas aussi ? Elle ne saurait tolérer ni la sainte pluie ni la clarté du jour. Et elle est en or massif. Avant, il a fallu démolir quelque chose, mais on ne le voit plus, bien sûr que non, les gens sont attirés par l’or, à s’y pendre comme des lamelles d’or dans l’arbre de Noël ».

Ludovic Lagarde pose la question de l’écriture dramaturgique de l’auteure autrichienne : « Comment faire entendre le flow théâtral de Jelinek ? Tout le monde est aveugle dans cette pièce. L’écrivaine qui s’y projette en prophétesse aux yeux ensanglantés. Le roi Trump en Œdipe qui fonce vers l’avenir les yeux crevés. Et nous qui savons bien que c’est catastrophique mais laissons grimper sur le trône des figures incarnant le pire de nous-mêmes ».

Le théâtre d'Elfriede Jelinek vient d’une blessure traumatique, jamais refermée, de l'histoire austro-allemande, et des relations contradictoires qu'entretient le peuple germanique avec son passé fasciste.

Dans la littérature germanophone, elle est une voix qui est aussi brutale que pouvait l’être celle de Thomas Bernhard, envers ses compatriotes, quand elle parle du pire de nous-mêmes.

Jelinek avec Sur la voie royale, jongle avec la bouffonnerie et le tragique ; et met en jeu violemment l’évolution inquiétante des pratiques abusives d’un roi, à la perruque plaquée or.

« La violence à laquelle nous nous préparons en nous retournant contre les gens violents avant qu’ils ne se retournent brutalement contre nous, cette violence a une telle force qu’elle ne peut pas disparaître d’elle-même. Elle est là et reste là », nous dit l’écrivaine.

Pour Jelinek, le jeu d’acteur devrait servir plus la narration que l’incarnation. Elle pense même que l’auteur et le metteur en scène sont les artisants du spectacle, et non l’acteur : celui-ci n’est qu’un élément de la pièce, qu’un accessoire et non le centre autour duquel gravite l’art théâtral ».

La mise en scène de Ludovic Lagarde, dans l’esprit des cabarets expressionnistes viennois, exprime cette narration des personnages à travers les nombreuses transformations de l’actrice.

Christèle Tual est maquillée, habillée et manipulée par l’équivalent d’un kōken* du No japonais ( Pauline Legros). Cela crée une étonnante esthétique brechtienne par l’apparition et la disparition des personnages sur le plateau. Pour nous, contrairement à ce que pense l’écrivaine, nous disons que le spectacle doit beaucoup à cette subtile actrice, sur la voie royale de son récit et de ses métamorphoses. Venez donc applaudir, le meilleur solo du moment.

 

*kōken, serviteur de théâtre

 

Photo : ©Gwendal_Le_Flem.jpg

 

Sur la voie royale d’Elfriede Jelinek

Traduit de l’allemand par Magali Jourdan et Mathilde Sobottke

Mise en scène : Ludovic Lagarde

Avec : Christèle Tual, Pauline Legros

Masque et maquillage : Cécile Kretschmar

Création musicale : Wolfgang Mitterer

Lumière Sébastien Michaud

Son David Bichindaritz

 

Jusqu’au 2 juillet 2021

Tournée de mars à juin 2022

 

T2G Théâtre de Gennevilliers

Centre Dramatique National

41, avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers

www.theatredegennevilliers.fr

01 41 32 26 10

 

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