À la carabine, de Pauline Peyrade c’est l’histoire d’une enfant abusée qui, devenue jeune femme, décide de confronter son agresseur.
Il y a 28 mots dans ce texte en guise de tableaux. Le premier fait parler le silence en bouche, avec le verbe sucer. Le dernier est feu.
Au stand de tir à la carabine, une jeune enfant est prise en main par un jeune homme qui veut lui apprendre à tirer comme il faut. C’est un ami de la famille, bien sous tous rapports, dit-on.
Il y a l’arme et la cible, ce sont les deux personnages. Ils discutent à la fête foraine : « il est par là, ton frère ? Il est aux autos tamponneuses. Pourquoi tu vas pas le voir ? Ta mère m’a dit de te surveiller. Genre. Si, c’est vrai. Elle m’a dit, va voir ce que fait la petite, j’aime pas qu’elle traîne à la fête foraine ».
L’objet dramatique s’insinue entre l’arme et la cible. Les voix intérieures de la jeune enfant et du jeune homme racontent les strates de la prédation. Voici celui du petit dauphin de l’enfant : j’attrape la tête du petit dauphin, je la remonte fort entre mes jambes, je respire très fort, brusquement, un grand boum, le mur du son et la vitesse de la lumière, j’ai chaud, je plante mes ongles dans la peau du petit dauphin, je serre les dents, c’est là, il crie de joie ».
Toutes les étapes du viol dans la pensée de la jeune femme racontent : « l’histoire d’une enfant de onze ans qu’un tribunal français a reconnue consentante à son propre viol ».
Quand la cible devient l’arme
Quand la cible devient l’arme, la jeune femme montre, au jeune homme, le trou noir au bout du canon : « tu sais comment on appelle le trou noir, là, au bout du canon ? L’âme. C’est joli, non ? ».
La jeune femme libère sa parole. Il voulait soi-disant lui apprendre à tirer à la carabine, elle lui montre la violence qui lui a fait subir. Maintenant, il est un lapin gonflé à l’hélium qui pleure. Elle parle, il doit écouter. Sa parole brise le silence qui dans ce cas n’est pas d’or, mais de sang : tu penses, une femme faut la forcer un peu pour pas qu’elle ait l’impression d’être une salope, t’as pu encore, connard, dans d’autres bouches, ça t’a pas rendu malade, quand tu vois ta gueule dans le miroir t’as pas envie de gerber ? Tu vas la prendre en rafale dans ta bouche, la salope, fils de chien de crachat, tu la sens, la violence, t’as peur, tu dis rien ? ».
La victime ne se venge pas, elle se retourne contre son prédateur, lui enseigne le viol qu’il a commis. Le dominant est dominé par une jeune femme en colère, face aux agressions sexuelles longtemps non reconnues dans notre société.
Pauline Peyrade nous fait entendre les soliloques du prédateur et de la proie « Ce n’est pas une réparation. Ce n’est pas une résilience. Parce qu’il y a des points de non-retour, des intolérables. Parce qu’à la violence extrême ne répond pas l’espoir, ni la compassion, ni la compréhension. Parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas sauver, des irréparables (…) Se défendre au point d’être indéfendable, c’est parfois le prix à payer pour ne pas se briser ».
Pauline Peyrade fait un geste puissamment théâtral, admirable de détermination, via la transmission d’une violence venue de la violence. Elle se réapproprie le récit dans son espace mental. Une légitimité amorale se trouve poser au présent de son écriture et s’impose à l’humain trop humain.
Il faut que notre jeunesse lise la pièce À la carabine de Pauline Peyrade, Grand Prix de Littérature dramatique 2021. Un texte qui avertit du danger d’une société patriarcale trop souvent excusée dans ses abus.
À la carabine est une commande de la Colline, du théâtre National de Strasbourg et de la Comédie de Reims pour Education et Proximité.
À LA CARABINE de Pauline Peyrade
Les Solitaires Intempestifs
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https://www.solitairesintempestifs.com/ouvrages/2020-10/la-carabine-suivi-de-cheveux-dete