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Le blog Les dits du théâtre

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Les dits du théâtre, le blog de l'actualité théâtrale d’aujourd'hui


Anéantis (Blasted) de Sarah Kane pour la première fois à la Comédie-Française.

Publié par Dashiell Donello sur 15 Novembre 2021, 13:59pm

Anéantis (Blasted) de Sarah Kane pour la première fois à la Comédie-Française.

Je me souviendrais longtemps de ma soirée théâtrale de ce 12 novembre 2021, alors que le gouvernement préparait, pour le lendemain, l’hommage aux victimes du Bataclan.

J’étais « blasted » au sortir du théâtre studio de la comédie Française. La violence de ce mot, incarné à la scène, m’avait rudement éprouvé, jusque dans ma chair de spectateur.

En 1995 Sarah Kane* à 24 ans. Son texte Anéantis, d’un haut degré de violence, fait scandale. Il a la puissance des grandes écritures dramatique, mais le théâtre anglais n’est pas près de visionner cette inhumanité sur scène, il est choqué. Comment peut-on monter dans une fiction, un personnage qui gobe les yeux d’un homme qu’il vient de sodomiser ?

La pièce est condamnée, la censure est demandée jusqu’à faire retirer de l'affiche Blasted (titre original de la pièce).

 

Plus la représentation avançait, plus j’étais captif de la plus brillante représentante de la nouvelle dramaturgie britannique, selon Edward Bond.

Je ne dirais pas que le théâtre de Sarah Kane est provocateur, cela serait trop simpliste de le penser. Il rend compte d’une humanité qui n’en a que le mot. Les mots sont violents parce que le monde est violent.

Après avoir brièvement pensé qu’elle était une Cassandre du XXe siècle, j’ai tout de suite réprouvé cette idée, car elle décrit dans sa pièce le présent de la société où elle vit : « Nous devons parfois descendre en enfer par l’imagination pour éviter d’y aller dans la réalité ».

La barbarie, que dénonce Sarah Kane dans Anéantis, a toujours existé ; elle se prolonge aujourd’hui, avec le terrorisme international.

En 1995, dans son envie d’écriture, elle mettait en dialogue un homme et une femme dans une chambre d’hôtel : « j’y travaillais depuis quelques jours lorsqu’une nuit, faisant une pause dans mon travail, j’ai regardé le journal télévisé et il y avait le visage d’une très vieille femme à Srebrenica, qui ne faisait que pleurer en regardant la caméra, et elle disait : « je vous en prie, je vous en prie, que quelqu’un nous aide (…) Je me suis dit : « c’est absolument horrible, et moi je suis là à écrire cette pièce ridicule sur deux personnages dans une chambre. (…) Alors je me suis demandé : quel pourrait bien être le lien entre un viol banal dans une chambre d’hôtel de Leeds et ce qui se passe en Bosnie ?* ».

Ce questionnement, sur la barbarie des guerres dans le monde, lui a révélé que la violence est toujours à l’origine d’une civilisation en temps de paix. Ce processus de la révélation est une prise de conscience pour tenter de sauver ce qui pourrait encore l’être. C’est ce que contient l’écriture interrogative de Sarah Kane,  grande dramaturge anglaise du XXe siècle.

 

Des didascalies de mise en scène ambivalentes

 

Simon Delétang met en scène la sidération de Blasted, et l’innommable beckettien (cher à Kane) passe par la voix des didascalies ambivalentes. Elle est la diseuse d’un chœur d’Érinyes désincarnées. Ce que l’on entend n’est pas représenté, mais nous montre ce qui devrait advenir, entre deux amants, dans un monde normé. Ce processus donne une distanciation brechtienne, où un amour indicible pourrait être possible. Ce ne serait alors qu’un cauchemar et non une réalité.

L’espace de la représentation vient aussi des didascalies : « une chambre d’hôtel très luxueuse à Leeds- le genre de chambre si luxueuse que cela pourrait être n’importe où dans le monde ».

Simon Delétang dévoile l’intime d’une toile figurant Pompéi qui se métamorphose en des persiennes aveuglantes qui font apparaître dans un blanc virginal le titre Blasted qui nous explose à la vue. Ainsi, le metteur en scène morcelle la pièce en un système des périactes du théâtre antique : « la pièce peut se découper en trois séquences spatiales : chambre d’hôtel avant explosion, chambre d’hôtel après explosion et chaos final ».

 

Simon Delétang, avec une parfaite distribution, réussi de son point de vue, à : « exprimer l’intense détresse des personnages sans qu’il y ait de geste ou de mouvement violent. Car au final, je veux pouvoir mettre en valeur la profonde humanité de chaque personnage, quelle que soit l’horreur subie ou provoquée dont les causes se trouvent dans des blessures profondes ».

 

* Extrait d’un entretient entre Sarah Kane et Dan Rebellato

* Sarah Kane (1971-1999)

 

ANÉANTIS de Sarah Kane

Mise en scène Simon Delétang

Avec Christian Gonon, Loïc Corbery, Élise Lhomeau

Traduction : Lucien Marcha

Mise en scène et scénographie : Simon Delétang

Costumes et assistanat à la scénographie : Aliénor Durand

Lumières : Mathilde Chamoux

Musiques originales et son : Nicolas Lespagnol-Rizzi

© Christophe Raynaud de Lage, coll.Comédie Française

 

Jusqu’au 5 décembre 2021

 

Studio de la Comédie-Française

99 Rue de Rivoli

Place de la Pyramide Inversée

75001 Paris

https://www.comedie-francaise.fr/#

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